Aller voir un concert d’un artiste ou d’un groupe d’un certain âge pour des raisons purement nostalgiques est une chose. En ressortir en se disant que le passé peut encore solidement se conjuguer au présent en est une autre.
C’est ce qu’auront réussi à faire Duran Duran ainsi que Nile Rodgers et Chic, mercredi soir, dans ce qui a probablement été le programme double le plus dansant de l’année au Centre Bell.
Trois heures de musique groovy, festive et pimpante qui a fait la part belle à un nombre effarant de succès radiophoniques de la fin des années 1970 au début des années 1990.
Le maître Nile
Musicien, auteur-compositeur, réalisateur et producteur, Nile Rodgers a porté tous les chapeaux lors de son illustre carrière qui s’est amorcée dans les années 1970. Individuellement, ses contributions à l’histoire de la musique populaire sont immenses. Réunies dans une même prestation, cela ressemble à un condensé phénoménal de l’histoire du disco, du funk et d’une pop dansante universelle.
Durant une heure, Rodgers et son groupe ont enfilé uniquement des succès monstres et des chansons immortelles, transformant au passage le Centre Bell en piste de danse du parterre au balcon.
Jugez un peu…
Tous les tubes de Chic (Le Freak, Everybody Dance, I Want Your Love, Dance, Dance, Dance (Yowsah, Yowsah, Yowsah), Good Times) étaient au programme, les incontournables de Sister Sledge (He’s the Greatest Dancer, We Are Family), les bombes de Diana Ross (I’m Coming Out, Upside Down), les grands succès de la première heure de Madonna (Like A Virgin, Material Girl), les immortelles de David Bowie (Modern Love, Let’s Dance) et l’hymne universel du rap du groupe The Sugarhill Gang (Rapper’s Delight).
Il y avait même des contributions plus récentes, comme Get Lucky (2013) de Daft Punk et Cuff It (2022), l’un des derniers succès de Beyoncé pour lequel Rodgers a raflé un autre Grammy, ce qu’il n’a pas manqué de souligner.
Source: Jason Kempin/Getty Images
Âgé de 71 ans depuis mardi, le guitariste a encore une énergie communicative qu’il transmet à tous les membres de son groupe élargi. Kimberly Davis et Audrey Martells interprètent dans les tonalités d’origine les vieux tubes de Chic et de Sister Sledge au point qu’en fermant les yeux, on pourrait se croire en 1979 ou en 1982.
Et elles s’approprient avec aisance les chansons de Diana Ross et de la Madone. Russell Graham est très honnête dans son rôle de Bowie, tandis que Rodgers s’est offert des duos guitare/basse dégoulinants de funk avec Jerry Barnes.
Une heure de musique torride et de plaisir communicatif couronné du sentiment que Rodgers et Chic sont le E Street Band du disco/funk.
Les 40 ans de Duran Duran
Après une entrée en matière explosive à ce point, on pouvait se douter que Duran Duran avait quelques munitions pour être à la hauteur. Après tout, il s’agit de la tournée 40e anniversaire du groupe anglais.
Des munitions, la bande à Simon Le Bon en avait à profusion. Les boys ont préféré commencer le concert sur leur scène imposante avec la mystérieuse et plutôt placide Night Boat, mais après, ce fut la déferlante.
Une frénétique Wild Boys a précédé une puissante Hungry Like the Wolf avant que l’on voie apparaître le visuel d’ouverture des films de James Bond où Roger Moore fait feu, prélude, bien sûr, à A View To A Kill. Notorious, avec les 11 000 spectateurs qui hurlaient le titre de la chanson, a bouclé une séquence au terme de laquelle une ovation prolongée a salué le groupe.
Si Nile Rodgers et son groupe ont fait dans le funk à souhait, Duran Duran ne s’est pas privé de leur faire non plus, y allant d’une enlevante reprise de Super Freak, de Rick James, après une Lonely In Your Nightmare partagée qui ne prend pas souvent l’air depuis 1982 (album Rio).
Parlant des années 1980, l’interprétation de Is There Something I Should Know? avec le vieux téléviseur géant et les manchettes des journaux à potins de l’époque a fait un tabac. Le choc de revoir les coiffures des gars d’y il y a 40 ans…
Intensité supérieure
Cela dit, en dépit d’une qualité sonore impeccable, d’une cohésion exemplaire, de la voix du tonnerre de Simon Le Bon (64 ans), jusqu’à ce moment, le concert me semblait manquer d’abandon. Était-ce à cause de la passion frénétique de Chic une heure plus tôt? Je l’ignore, mais Careless Memories et sa rythmique béton fut, pour moi, le déclic. Parfois, une chanson pas souvent présente au bataillon – pas jouée par Duran Duran à Montréal depuis 2005 – est la claque qui fait basculer le concert à un autre niveau.
D’autant plus qu’elle a été suivie par un moment d’émotion, lorsque Le Bon a dédié Ordinary World à tous les Ukrainiens et que Come Undone – splendide et sensuelle – a complété ce doublé marquant.
Le Bon a ironisé en notant que Danse Macabre – titre du prochain disque – était une chanson en français… Cette dernière tient fort bien la route et les images dignes de l’univers de Tim Burton qui ont défilé sur les écrans étaient macabres… mais très colorées, néanmoins.
Participation de masse
Le dernier droit a été un grand cru participatif. Une percutante Planet Earth a donné le signal du départ pour la foule qui a battu la mesure avant de recevoir au plexus une frénétique White Lies (Don’t Don’t Do It). La ligne de basse de John Taylor a été intense à souhait à ce moment.
À ce stade, The Reflex et Girls On Films – excellentes, comme d'habitude - étaient venues d’avance pour le public. Devant moi, une quinquagénaire sautait et dansait encore plus qu’elle ne l’avait fait jusque-là, comme la majorité de cette foule dont les deux tiers étaient des femmes.
Save A Prayer avec des images de colombes a été émouvante au possible sous des milliers de cellulaires allumés avant que le monument qu’est Rio ne vienne clore ce plus récent chapitre d’une histoire de 42 ans entre les Britanniques et le public montréalais.
Et quelque chose me dit que ce n’est pas terminé…